EDITO – « Ce que soulève la jupe » dans huit pays du monde

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Un brin de soleil, le mois de mars, et la jupe la nargue. Calcul rapide : de chez elle à son bureau, elle compte un trajet en métro et trois rues où elle préfère accélérer le pas. Ce sera donc une jupe au niveau des genoux. Et des chaussures plates.

Voici ce que pense Madame X ce matin. Lorsque le réveil sonne, elle se livre à un rituel universel : elle anticipe la journée qu’elle va vivre, où, avec qui, et comment. En fouillant dans la commode, elle pense à l’effet qu’elle souhaite produire et à ce qu’on attend d’elle. Vous me direz, pour le choix d’une cravate, d’un pantalon ou d’une chemise, Monsieur Y réfléchit aussi. Mais avez-vous remarqué combien la jupe moulante moderne conditionne le comportement de celles qui l’arborent ? Assise : les jambes croisées. Debout : les mains qui tiennent discrètement la jupe qui remonte à chaque enjambée. En marche : une foulée resserrée. Il y a une conscience du corps dans le port d’une jupe. Dans les rues de Paris, nous l’avons filmée.

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En fait, lorsque Madame enfile une jupe, dans sa tête résonnent deux voix, une sévère et une inquiète. La première dit : « Un peu de tenue, Mademoiselle ». La seconde : « Fais attention à toi, ma fille ».

« Un peu de tenue, Mademoiselle » 

Madame X connaît la chansonnette. Elle remonte aux temps des « Grandes dames » et des bonnes manières. Des grandes jupes aussi puisque, à l’origine, on appelait « jupe » un ensemble recouvrant le corps de la poitrine aux chevilles. Le modèle coupé à la taille apparaît au XVIIe siècle.

Lorsque Madame porte la jupe, elle traine une longue histoire d’élégance à la française.  Une classe que nous envient nos voisins, aime-t-on toujours croire. C’était du moins l’espoir de notre correspondante au Danemark. Mais là-bas, la silhouette à la mode est unisexe – alors la jupe, marqueur de genre, devient ringarde. Dommage pour Laure, qui rate son intégration par le textile. En vélo comme les Danoises, en jupe comme une Française, elle pédale tant bien que mal dans les rues de Copenhague.

Car la jupe, quelle qu’en soit la longueur, ne facilite pas le déplacement. Et en devenant l’apanage de « la Femme », elle se révèle vite être un calvaire. L’historienne Christine Bard le souligne dans son livre Ce que soulève la jupe, ouvrage auquel le titre de notre édito fait référence. Les premières féministes françaises se battent contre ces jupons si lourds qu’ils ralentissent les femmes en situation d’urgence, et si encombrants qu’ils les empêchent de travailler efficacement.

Madame X connaît cette Histoire-là. Elle jette un coup d’œil à sa jupe. Il y a eu de la coupe dans le tissu, c’est certain. D’ailleurs aujourd’hui, on peut travailler avec. Un affranchissement des femmes sur leur costume ? Pas si sûr. A Hong Kong, à chaque activité correspond une jupe. Celle des femmes d’affaires, celle des écolières, celle des prostituées… Au Mexique, les femmes indigènes racontent l’histoire de leurs communautés à travers les motifs et les formes de leurs longs jupons. L’habit ne fait pas le moine dit-on, mais on vit toujours dans un monde où la jupe fait la Femme.

La jupe vue par notre illustratrice. Crédits dessin : CrossWorlds/Camille Attal.

La jupe peut aussi définir l’Homme. C’est ce que découvre notre correspondant lorsqu’il traîne dans la boutique de David, dont la famille écossaise vend des kilts depuis des décennies. Tu seras un homme mon fils, et de ton clan, tu porteras le kilt !

« Fais attention à toi, ma fille » 

Il n’empêche, si la version masculine existe, quand on parle de « la » jupe, on pense aux femmes. Tant et si bien que lorsqu’il s’agit de dénoncer les violences qui leur sont faites, les militants l’enfilent. Comme en Turquie en février dernier où des hommes défilent en mini-jupe.

Madame X, elle, ne met pas de mini pour aller au bureau. Il faut dire que parfois les regards brûlent les jambes. Comme au Chili, où les « cafés con piernas » l’imposent à leurs serveuses pour attirer la clientèle. Madame aimerait bien avoir le cran des « Ni putes ni soumises ». 10 cm sous les fesses, les jambes en plein air, le vent sur la peau : le droit à la féminité. Une véritable révolution simultanée à celle du pantalon, insiste Christine Bard. Une utilisation de l’habit pour revendiquer le droit d’exister. En Angleterre, notre correspondante creuse l’héritage de Mary Quant, regarde les gamines retrousser l’ourlet de leurs jupes déjà courtes et les parents s’interroger sur leur sexualisation précoce.

Ces jeunes filles grandissent en mini-jupe, et ce devrait être une possibilité pour toutes et pour tous les gabarits. Projet irréalisable à Johannesburg, où la pression sociale à l’encontre de la jupette y est insoutenable. En Afrique du Sud, une femme serait violée toutes les 26 secondes (2009).

Ma jupe, mes jambes

Madame X a trouvé la jupe qu’il lui fallait. C’est une mise en scène de soi qui au fond ne lui déplait pas tant qu’elle a le choix. Pour autant que les magasins le lui permettent, elle a sélectionné le tissu, la forme, la longueur, la couleur du signal qu’elle lance au reste du monde. A Moscou, les étudiantes que notre nouvelle recrue a rencontrées – nous passons ainsi de 15 à 16 correspondants ! – racontent l’histoire de chacune de leurs jupes. Le pourquoi du comment de leur achat.

C’est lassant ce constant besoin de justification vestimentaire. On aimerait sortir mal mise, histoire de voir. Et pourtant, ce cérémonial matinal se déroule dans tous les pays du monde. Même la rebelle réfléchit à comment paraître subversive.

Dernier coup d’oeil à sa jupe, Madame X est parée. Dans les pays de nos correspondants,  d’autres femmes font le même geste, par réflexe. Mais avant de franchir le pas de la porte, une troisième voix résonne désormais dans leur tête. Cette fois-ci, c’est la leur. Déterminées, confiantes, satisfaites, dans ce tête-à-jupe qui ne regarde qu’elles, elles lâchent un « Pas mal ! » bienveillant.

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